• La Muse malade, Baudelaire

    La muse malade


    Ma pauvre muse, hélas ! qu'as-tu donc ce matin ?
    Tes yeux creux sont peuplés de visions nocturnes,
    Et je vois tour à tour réfléchis sur ton teint
    La folie et l'horreur, froides et taciturnes.

    Le succube verdâtre et le rose lutin
    T'ont-ils versé la peur et l'amour de leurs urnes ?
    Le cauchemar, d'un poing despotique et mutin,
    T'a-t-il noyée au fond d'un fabuleux Minturnes ?

    Je voudrais qu'exhalant l'odeur de la santé
    Ton sein de pensers forts fût toujours fréquenté,
    Et que ton sang chrétien coulât à flots rythmiques,

    Comme les sons nombreux des syllabes antiques,
    Où règnent tour à tour le père des chansons,
    Phoebus, et le grand Pan, le seigneur des moissons.


       Baudelaire, les Fleurs du Mal

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